Principles (working)

VIII – Des idées de l’homme collectif

52. Considérée dans le groupe qui le produit, l’idée est identique et adéquate à ce groupe : en ce sens, la proposition de Hegel est vraie, l’idée est la même chose que l’être, et vice versa.

Considérée dans le groupe qui le reçoit et la réfléchit, l’idée n’est plus, suivant l’étymologie du mot, qu’une image, une affirmation de l’être.

Toute idée, qu’elle vienne du dedans ou du dehors est donc l’expression d’une réalité, soit interne, soit externe.

C’est ainsi que le sentiment qui nous avons de notre activité, de nos passions, de notre liberté, nous révèle à nous-mêmes notre existence d’hommes ; – tandis que la perception que nous avons des objets extérieurs, nous révèle leur existence.

La question est donc de savoir si les idées morales, qu’acquiert l’homme en société, sont produites en lui, comme le sentiment qu’il a de sa propre nature : auquel cas la société ne serait pas une réalité en soi, mais une dépendance de l’être humain ; – ou bien si ces idées sont véritablement reçues et communiquées du dehors, auquel cas la société serait plus qu’un simple mode ou condition de notre existence : elle serait elle-même un être !

53. Pour résoudre cette difficulté, il n’y a qu’une chose à faire, qui est de vérifier, par la logique, si les idées morales sont une déduction logique et naturelle des idées propres de l’homme, ou bien si elles forment un ordre nouveau, qu’aucune loi logique ne permet de rattacher ni à la théorie passionnelle, ni à la théorie des concepts, ni à celles des connaissances empiriques reçues des autres êtres et de l’Univers.

Or, c’est ce qui va résulter avec le dernier degré d’évidence, 1° de l’opposition naturelle qui existe entre les idées morales et les idées passionnelles, en autres termes, entre le droit de la société et le droit de l’individu ; 2° des mesures que la société a prises de tout temps pour assurer l’exécution de ses idées, de ses lois.

54. Je dis donc que mentir, tromper, voler, se parjurer, assassiner, étrangler son père, violer sa mère, et dévorer ses propres enfants, toutes ces choses qu’a défendues le Décalogue, et dont le développement constitue la science morale et politique, sont de droit collectif et acquis (ainsi que je le démontrerai bientôt) mais point du tout de droit naturel et primitif ; la preuve, c’est l’impossibilité de leur trouver une base, une raison, et une sanction, dans la nature propre de l’homme.

Tu aimeras ton prochain comme toi-même, dit l’Évangile, et tu lui feras en toute occasion, comme tu veux qu’il te fasse. Voilà le sommaire de la morale, voilà toute la loi et les Prophètes !

Sans nul doute, et tout est là, mais en vertu de quoi le précepte éminemment utile à mon voisin, homme faible, craintif et stupide, qui a besoin d’être aimé, protégé, secouru ; à mon voisin homme riche, exposé au vol, à la calomnie, à la trahison, à l’assassinat ; en vertu de quoi devient-il OBLIGATOIRE pour moi qui trouve intérêt à haïr, voler, me venger, tuer, etc.

Voilà l’éternel problème sur lequel repose l’existence des États, la sécurité des citoyens, le développement des sociétés.

Car qu’on ne s’y trompe pas : l’individu homme n’est qu’un animal doué de facultés passionnelles et intellectuelles supérieures. Comme en tout être vivant, ses passions constituent son droit ; son intelligence compose ses moyens, et toute la nature devient sa débitrice. Dans l’exercice de ses facultés, il rencontre son semblable, qui lui dit : par à deux ! – Pourquoi ce partage ? Sur quoi se fonde une telle réclamation ? Quelle action peut intenter l’homme à l’homme ? Ne sont-ils pas égaux ?… Hobbes a dit : l’homme à l’homme est un dieu ou une bête féroce. Cet adage qui semble écrasant de misanthropie n’est qu’une vérité de sens commun. L’homme est capable d’amitié comme de haine, ni plus ni moins que le tigre, qui le nie ? Dans l’amitié, il est généreux, dévoué, il perd son égoïsme ; il vit de la vie de son ami ; ce n’est pas là autre chose qu’une affection purement amicale. Mais voyez le revers de la médaille : plus l’homme est capable de dévouement et de tendresse, plus il l’est de vengeance et de férocité : puisqu’au fond les deux continents ne sont que la double face de la même attraction passionnelle. La question n’est point là : il s’agit de savoir comment vous prétendez l’obliger, lui faire une loi, un principe, un devoir, mieux que cela, un bien, un avantage, une puissance, une gloire, de traiter les autres hommes, des co-partageants !, comme des amis comme les frères ?…

55. La Religion dit : C’est Dieu qui l’ordonne ! mais que m’importe Dieu, à moi qui n’y crois pas ? à moi qui me moque de lui ? à moi, qui le regarde comme une mystification ? à moi qui ne vois en ceux qui parlent au nom de Dieu, que des trompeurs, qui cherchent à imposer aux hommes, au nom de Dieu, des devoirs dont ils tirent un bénéfice immense, en s’en affranchissant eux-mêmes. La religion ! Ce peut-être une fort belle et bonne chose, sans doute, mais tout ce qu’on peut me dire en son nom s’écroule devant cette réflexion invincible : qui me dit que la religion n’est pas, de la part d’hommes avides, et rusés, plus méchants encore que moi, pauvre innocent, une rouerie de plus ?…

La philosophie prend la parole, et dit : Sois humain, bienfaisant, etc., pour que ton prochain le soit à son tour envers toi !… Ne fais pas mal à ton prochain, pour qu’il ne te fasse pas mal à toi-même… Je ne dis pas non ; je comprends cette réciprocité ; je la crois, en bien des cas, avantageuse ; peut-être gagnerions-nous tous, à ce qu’elle fût prise pour règle et inviolablement observée.

Mais ce n’est là, en dernière analyse, qu’un contrat ? or, ce contrat, qui peut m’obliger à le signer, si je n’en veux pas ? Si je trouve plus d’avantage à garder ma liberté d’action ? Et si, après l’avoir signé, je le romps, qui peut m’en faire un crime ? Que dis-je ? qui me prouvera que je suis le premier qui l’a enfreint ? Quand je prouve que les conditions en sont pour moi léonines, qu’il me constitue en perte ?… Et puis, qui sera juge entre moi et mes co-contractants ? Qui prononcera entre nous ?…

Rousseau, son Contrat social à la main, ne prouve que la Société est un pacte d’assurance mutuelle des faibles contre les forts, lequel pacte a pour ratio ultima la guerre, et pour sanction le bourreau. À la bonne heure ! Voilà qui est parler raison. Les petits se coalisent contre les grands ; c’est la guerre. Par conséquent les grands mangent les petits, malgré leur coalition : c’est la guerre. Le vaincu paie de sa liberté et de sa vie : c’est la guerre. Trêve de rhétorique et d’hypocrisie ! Les droits naturels et imprescriptibles de l’être humain, le brigandage, le parricide, l’adultère et le viol, étaient perdus ; Rousseau les a retrouvés. Gloire à Rousseau.

Aime ton prochain comme toi-même ! redit l’Évangile. Mais croit-on que je ne l’aime pas ? – Je l’aime sans doute, autant que je hais celui qui n’est pas mon prochain. Car comme dit très bien le même Évangile, nous ne sommes pas tous compagnons ; et mon prochain n’est ni pharisien ni prêtre, ce n’est pas celui qui parle de loi et de religion ; mon prochain, c’est celui qui, comme moi, ne connaîtra de loi que la franche et libre nature ; mon prochain, c’est le Samaritain ! J’en appelle la parabole.

Voici Jérémie Bentham, l’utilitaire, qui me dit : Soyez juste, dans votre intérêt, bien entendu ! Si ce n’est pas le sublime du charlatanisme, c’est le sublime de l’ignoble. Mon intérêt, bien entendu ! Il s’agit d’une obligation, d’un devoir sacré, irrésistible, qui me commande de me soumettre ?… il fallait une tête anglaise pour concevoir cela ! Lâche civilisé, vil et plat industriel ? Est-ce que j’aime par intérêt, moi, homme de la nature, dévoué jusqu’à la mort à mon compagnon de fortune ? Est-ce qu’entre créatures qui s’aiment par amitié et amour de cœur, il y a de l’intérêt ? Vous voulez me civiliser et vous êtes à cent milles lieues au-dessous de moi barbare ! Aimer par intérêt !…

Mais voyons enfin quel sera cet intérêt, que voulez-vous que je serve ?

En chaque pays, les neuf dixièmes, au moins, de la nation, sont pauvres, voués au travail, à l’exploitation, et à la misère, ou courant des chances toujours prochaines, multipliées presque invincibles de misère ? Quel intérêt ont-ils à respecter les lois de cette société menteuse, hypocrite, et marâtre ?

Sur le dixième, réputé riche, plus de la moitié ne sont devenus riches ou continuent de l’être qu’à force de corriger, par la fraude, la violence, et tous les moyens que la morale réprouve, les erreurs de la fortune. Ceux-là n’ont pas [***]. En sorte que, dans la totalité d’une nation, il n’y a pas une personne sur vingt, 5 % qui, jouissant du bien-être, et professant en même temps la justice, ait un intérêt véritable, et de bon aloi, au respect des lois sociales. La masse indésirable qui, tant bien que mal, respecte cette loi, la respecte évidemment contre son intérêt.

La philosophie de l’idéal vient à son tour ; au nom de la beauté morale, elle affirme la nécessité du dévouement à la loi, et de ce qu’on appelle l’ordre. Autant, dit-elle, c’est une nécessité physiologique, animique et intellectuelle pour l’homme, de tendre à la santé, à la force, et à la beauté ; autant c’est un besoin pour lui, une moi de sa nature, et de son bien-être, de rechercher la santé morale, qui est l’innocence ; la force, qui est la vertu ; la beauté, qui est le dévouement. Il ne peut pas ne pas désirer et vouloir ces choses, qui sont ses vrais biens, sans lesquels il se hait lui-même, il se méprise, il est malheureux.

Ou ce discours ne signifie rien, et n’est qu’un abus de mots qui implique la satisfaction préalable des besoins, des attractions et des passions de l’homme. Qu’est-ce que la vertu ? Faire du bien au prochain ? On ne peut pas, rationnellement et de bonne foi, faire pour tous les misérables qu’enfante le régime civilisé, de la prétendue beauté morale, qui n’est évidemment ici que l’abstinence, une compensation à la santé, à la force et à la beauté physiques, qui est le fruit de cette abstinence et civilisation. La plénitude de l’être, voilà ce que l’homme cherche, ce qu’il appelle ; le développement et le libre exercice de toutes ses facultés, voilà ce qu’il veut. C’est ce que possède certains riches, ce à quoi tous les hommes aspirent, et qu’il est très certainement de leur droit à réclamer, à peine de rupture de contrat, et de révolte. Si la vertu n’est pas un vain mot, elle doit avoir pour objet d’augmenter sans cesse, et de partager équitablement le bien-être et la richesse. C’est là son premier devoir. Or, tout au contraire, la vertu c’est de se sacrifier !… Or, qu’enseignent, à cet égard, les moralistes, les économistes, les politiques ?… que la richesse morale et physique ne peut être le partage de tous, qu’il y a à cela impossibilité essentielle, que les conditions de l’ordre y sont contraires, etc.

En sorte que, suivant ces moralistes, etc., par le plus étrange renversement d’idées, la vertu qui devrait être d’obligation, principalement au riche, afin de faire part au pauvre de la richesse, est d’obligation surtout pour le pauvre, afin de conserver le privilège du riche !…

On parle de l’idéal !… Mais l’idéal de la vertu humaine est aussi bien, sinon davantage encore de ne souffrir aucune injustice, que se désigner à l’iniquité d’autrui. Il y a de l’héroïsme, dans le prétendu brigand qui s’insurge contre une société marâtre, et proteste, par la guerre qu’il lui fait, contre son odieuse juridiction.

Là-dessus, le théologien revient à la charge, et dit : Il est évident que la morale sociale ne peut recevoir comme sanction déduite de considérations purement humaines : or, cette morale existe, elle est gravée au cœur de l’homme ; alors même qu’il l’enfreint et la nie, il lui rend hommage. Il faut donc qu’une idée supérieure l’explique et la consacre ; c’est l’idée de Dieu. La Religion, qui commande à tous les hommes, au nom du ciel, sans considérations d’intérêt, d’orgueil, de sensibilité, etc., la Religion est le vrai fondement de la morale.

Cela, encore une fois, pourrait être vrai ; si la Religion pouvait par elle-même établir son autorité. Mais qui ne voit que la Religion est introduite ici pour le besoin de la cause ; qu’elle arrive juste, comme un postulatum, combler la lacune de la morale ; en sorte que bien loin de servir de preuve et de garantie à la vérité de la morale, c’est la nécessité d’une sanction morale qui sert de preuve et d’argument à la nécessité de la religion.

Si la morale n’avait besoin d’une sanction, il n’y aurait pas de religion ; – l’idée même de religion n’existerait pas. Kant l’enseigne formellement, et c’est ce qui fait non pas l’originalité, mais la sincérité de la doctrine : la loi morale dit-il, se posant impérativement dans la conscience (ce qui est en question), nécessite, et conséquemment révèle Dieu et l’Immortalité de l’âme.

En sorte que la religion, qui doit garantir la morale, est elle-même garantie par elle : que dites-vous du cercle vicieux ?

56. La Société et l’Individu sont en opposition essentielle, et presque partout aujourd’hui, cette opposition se traduit en un violent antagonisme : cela est d’expérience et d’histoire. Comment donc la loi morale, invoquée par la société peut-elle être obligatoire pour l’homme ? La question est là ! À la résoudre, la religion, la politique, l’économie politique, l’esthétique ont échoué jusqu’ici : cela n’est pas moins certain. Et cependant la conscience affirme la loi morale contre laquelle la passion, l’intérêt, murmurent ; il faut donc, à tout prix, obtenir cet accord entre la Raison qui exige une preuve, et la Conscience qui ne doit qu’affirmer. Car tant que cette preuve ne sera pas obtenue, la logique étant ou paraissant d’accord avec l’Égoïsme, la loi morale sera sans base suffisante et tous les États dont on prétend l’appuyer, des hypocrites et des dérisions.

57. Cette preuve, selon nous, ne peut être trouvée qu’en démontrant à l’encontre de la philosophie morale, que les lois de conscience ne sont point innées à l’homme, comme on l’a cru, qu’elles ne sont pas des instincts, une sorte de Verbe incarné en nous ; mais que ce sont les idées propres du groupe social, idées qu’il produit comme expression de son essence et de son unité ; que l’homme découvre ensuite en vertu sa raison, comme il découvre toutes les lois des choses ; et qu’il reconnaît en outre comme obligatoire pour lui-même, en raison de ce qu’il se sent partie intégrante et constituante de l’Être social.

a) Les lois morales sont les idées de l’être social, comme les affections, ou formes de l’activité, sont les idées de l’individu.

Ces idées ne sont connues de l’homme qu’a posteriori comme toutes les idées qu’il a des choses.

b) Aussitôt connues, ces idées s’imposent à sa conscience, et ravissent son assentiment.

Leur sanction est dans son cœur ; elle est plus forte qu’aucune autre ; toute sanction externe de la morale est, comme dit Kant, une immoralité.

Voilà les deux propositions qu’il faut démontrer.

58. – Établissons d’abord notre première proposition ; car de cette proposition capitale dépend toute la théorie des lois morales, et par suite toute la science des droits et des devoirs, et toute la religion. Prouvons, directement, par les faits, que les lois morales ne sont point des catégories innées de la conscience individuelle, comme l’ont cru Rousseau, Kant, etc. catégories que l’individu applique à la société dont il fait partie, ce qui serait faire de la morale une chose arbitraire, et toujours révocable ; – mais quelles sont les idées de l’Être collectif, lesquelles se révèlent postérieurement, et s’impriment, avec le temps, dans l’âme de l’Individu.

Le prends pour exemple, le mariage.

L’union de l’homme et de la femme est une idée intégrale et sociale, que l’homme divise, et scinde presque fatalement.

D’une part, la volupté, idée individuelle,

De l’autre, la maternité, autre idée individuelle,

Solution cherchée, dans la Communauté de femmes, la Communauté des enfants, les ateliers de bonnes, nourrices, etc.

Négations de la volupté, dans la virginité, aberration dogmatique.

L’amour conjugal est une chose, un sentiment sui generis, un fait, qui de sa nature est exclusif, dont le doublement implique contradiction.

Cette idée se dégage peu à peu ; arrive à sa plénitude mais est toujours menacée par les romanciers et prostitués.

L’homme et la femme qui, après avoir vécu dans le concubinage, s’épousent, changent de sentiments, deviennent autres, etc.

Justice. – Cette notion se dégage tout aussi péniblement que la précédente. La Justice pour le sauvage, c’est le droit de la force.

Il faut du temps pour arriver à la conception qu’elle consiste à rendre ce qui revient à chacun, formule qui ne signifie rien.

L’Économie seule, peut en donner complète, en disant qu’elle est l’équation entre le produit et le salaire.

Or, le SALAIRE est chose éminemment sociale : puisque c’est la faculté d’acheter tout avec un PRODUIT UNIQUE. – IMAGE de la dignité de la personne humaine.

Hors de la société, de la collectivité, des rapports économiques, il est mathématiquement impossible d’acquérir une idée nette et exacte de la JUSTICE. On n’en a que le sentiment vague, qui se nie de lui-même, – et ne peut soutenir l’examen.

Propriété : idée fausse, et inadéquate dans toutes les législations ; conséquemment excusabilité du vol. La Justice pénale est une espèce de guerre faite par le propriétaire contre le non-propriétaire.

Communauté : idem, idée incomplète.

Sanction pénale. C’est une vengeance, dans toutes les législations, ou bien une correction ; – deux violations du droit. Expiation, c’est la même chose que correction.

La sanction pénale est l’application à l’individu qui rejette la loi sociale, de la loi qu’il s’est faite à lui-même, sauf l’atténuation que peuvent apporter les circonstances.

Sic l’Église professe l’autorité ; qu’on le traite avec Autorité.

Sic un parti use et abuse du pouvoir ; qu’on le traite dictatorialement.

Sic un individu vole ou tue ; qu’on lui prenne son bien dans la mesure prise, et qu’on le tue.

Si la société refuse de tuer l’homme qui a tué mon père, je la frapperai moi-même, et je serai excusable, j’en ai le droit.

Si le voleur n’a rien à rendre, qu’on le fasse travailler, et qu’on le CONTRAIGNE.

La contrainte du travail doit remplacer la contrainte par corps, et le prison, pour tout individu qui accepte de travailler.

S’il refuse de travailler, le cachot, et s’il s’obstine, la mort.

Le calomniateur doit être puni de la même peine que mériterait la personne calomniée.

Pour tout acte de justice, deux témoins et le plaignant, devant trois citoyens jugeant publiquement ; suffisent.

Parjure, vérité, bonne foi, tromperie, etc.

L’homme n’arrive pas d’emblée à cette NOTION MORALE, le devoir de la sincérité et de la vérité et de la fidélité.

La RUSE, au contraire, fait partie essentielle du droit bestial et guerrier, partie de l’exercice intellectuel ; elle ne se distingue pas au commencement de la vraie habilité.

Ruse, rouerie, hypocrisie, comédie, charlatanisme, escroquerie, tromperie, etc., etc. tout cela est de bon aloi, pour l’homme primitif, non associé.

Jura, perjura, secretum prodere noli. [Serment chrétien traditionnel : « Jure, parjure-toi, mais ne livre jamais le secret. » ]

Jurer par Jéhovah, le seul serment obligatoire, du temps de Moïse, ce qui veut dire 1° que l’Esprit distingue parfaitement le vrai en soi, d’avec l’affirmation ; – 2° que pendant longtemps, il est de bonne guerre de RUSER, et de dire la bonne vérité.

Fides punica, graeca, etc.

Est, est, non, non ! – Évangile St. Mathieu.

D’où vient le sentiment de l’obligation ? D’un sentiment esthétique ? Autant vaudrait dire qu’il y a de sots métiers, et que la bonne foi n’a de supériorité sur la ruse, que comme plus belle chose.

Ce sentiment de l’obligation vient de ce que l’homme se sent partie constituante d’un tout, qui ne peut pas subsister, si les parties SE MENTENT RÉCIPROQUEMENT.

Or, cela n’arrive pas d’abord. Il y a un temps où l’homme, déjà parlant, raisonnable, mais en guerre avec son semblable, n’a nullement la notion de ce tout. Il est convaincu, au contraire, de la nécessité de mentir, sans quoi l’on ne se garderait pas.

Le mensonge est ainsi une coutume !

Le premier progrès est quand on convient d’y faire une exception, celle du serment par Jéhovah, SOUS PEINE DE MORT !

De là, le mot hébreux Schaba, jurer, qui est le geste de se faire couper en sept.

Avis alors à celui qui jure de n’être pas prodigue de serments.

Puis, nécessité sentie de bannir cette distinction ridicule, et de faire tout affirmer sacramentellement.

Point de transition ; les pharisiens.

Dernier terme de transition : l’Église latine et la foi du serment.

Solution : les Quakers.

Rétrogradation, ou rechute ; la restriction mentale des Jésuites. Honte.

Contradiction : la foi publique substituée partout à la foi individuelle, c’est-à-dire, constitution par l’État, industrie par l’État, instruction par l’État, etc.

Toujours une antithèse à une thèse ; toujours l’antinomie à la place de la vérité.

[Fin du manuscrit]

Ici, Proudhon a barré les lignes suivantes : « Kant, à la suite de Hume, a prouvé que les conceptions de Temps, Espace, Substance, Cause, Infini… ne sont pas données par les objets de la sensation, ce qui mine la théorie de Locke ; que ces concepts sont un produit de notre entendement, et qu’en conséquence le Temps, Espace, etc. ne représentent pas des réalités. » [pjp]

Dans les marges : « incapable d’emporter le butin dans le combat, et qui ne sait que travailler. » [pjp]

En marges tout au long des lignes qui suivent :

« Série du Vol, cf. PROPRIÉTÉ.

Ch. V.

Le SALAIRE est l’expression de l’idée ; laquelle ne s’exprime bien que dans la société, et n’est conçue qu’en elle.

Traduisons cette expression : c’est le quantum de la coopération de l’individu à la société.

De là, notions de droit et avoir, ou devoir et droit.

La notion est dans l’égalité constante des deux termes ; – et dans la nécessité impérative de cette égalité.

Or, cette nécessité impérative existe, et devient pour l’homme obligation morale, du jour où il se connaît lui-même comme partie intégrante et constituante de cet organisme ; – elle devient, en un mot, passion d’ordre, comme l’amour libre est passion physiologique. C’est notre essence d’être ainsi impressionnés et mûs par la société à laquelle nous appartenons ! » [pjp]

En marges à partir de ce paragraphe :

« L’idée sociale est la justice – comme l’idée de l’individu est la passion, la sensibilité affectus.

La justice se présente toujours aux premiers hommes sous forme d’un commandement.

On ne dit pas : Il est convaincu ; il a été délibéré entre – par un contrat passé, etc.

Tous les peuples posent donc la justice comme un commandement supérieur ; signe manifeste qu’ils la regardent comme une idée venue d’ailleurs que de la raison individuelle.

Ce commandement se nomme l’ordre public, la loi, le pacte divin, la religion ou respect, l’autorité, etc.

On l’entoure de rites, de sacrifices, de symboles, de fêtes, d’anniversaires, etc.

On en conçoit l’auteur comme vivant, surhumain, tantôt doux, débonnaire, tantôt cruel, menaçant, et féroce. » [pjp]